"Créer de la valeur sociale, levier d’une transformation collective"
Pourquoi avez-vous initié ces travaux sur les Nouveaux services ?
Julien Paul : En tant que bailleur social, nous avons trois métiers : construire, gérer, accompagner. L’enjeu des services est associé à ce troisième pilier.
Cette dimension, l’accompagnement des personnes, dit la manière dont on choisit de vivre et d’exercer notre activité.
De plus en plus de Français se sentent mal accompagnés par la société. Or notre mission, notre engagement social, nous distingue d’autres acteurs de l’habitat. Il importe de loger les personnes et tout autant de se préoccuper d’elles une fois entrées dans les lieux. Avec les atouts de notre ancrage local, qui facilite la connexion des habitants à leur environnement et ses aménités.
"Il me semble que notre communauté a besoin de travailler l’enjeu des services et de l’éclairer, car il témoigne de notre manière d’appréhender notre rôle"
Que recouvre ce rôle auprès des personnes ?
Julien Paul : La priorité d’un bailleur social est de prendre en compte la personne qu’il loge avec ses besoins, ses fragilités. Cette attention peut avoir un effet vertueux sur le vivre-ensemble, voire mieux sur la cohésion sociale. Dans notre action, nous aidons la personne à se relier à un tissu de relations, à des dispositifs de solidarité. Il ne s’agit pas de l’assister mais de la soutenir pour trouver les appuis de proximité dont elle a besoin. Nous favorisons l’inclusion et l’autonomie de chacun pour mieux "faire société".
En quoi cet enjeu résonne-t-il particulièrement aujourd’hui ?
Julien Paul : Avec le dérèglement climatique, il est beaucoup question, à raison, de la résilience du bâti, de sa capacité à faire face et à s’en sortir renforcé. Nous oublions trop souvent un élément majeur : l’humain dans le bâti. Nos modes de vie vont être bouleversés, et c’est insuffisamment intrégré à nos stratégies. Il est incontournable d’accompagner nos locataires dans la proximité, à s’adapter à des changements sévères.
Est-ce spécifique à l’habitat social ?
Julien Paul : L’habitat social est globalement mieux géré que l’habitat privé, le patrimoine mieux entretenu. Ce qui distingue notre approche en tant que bailleur social, tient à la vulnérabilité plus grande des personnes que nous accueillons. Elles sont pour une grande part, plus précaires. Et ce, de plus en plus si l’on ne regarde que les nouveaux entrants.
Or les réseaux d’intégration sociale, les lieux de vie associatifs, culturels, d'entraide, qui jouent un rôle d’amortisseurs sociaux, sont de plus en plus fragilisés, parfois absents. Les pouvoirs publics ont et auront de plus en plus besoin d’acteurs de la cohésion sociale, opérationnels dans les territoires. Le développement de services est un levier fort pour y participer, à notre mesure.
"L’idée, c’est d’imaginer des services qui permettent de retrouver, partout, des solidarités de proximité"
Quels services s'agit-il de développer ?
Julien Paul : Accompagnement social des personnes, gestion de situations atypiques, prévention et gestion des impayés… mais aussi aide à la personne (si elle est isolée, si elle avance en âge ou si elle est en situation de handicap par exemple), participation à la vie de quartier avec les associations, accueil de manifestations culturelles… Ces actions, qui relèvent d’initiatives habituelles mais éparses pour les bailleurs sociaux, doivent être réinterrogées, structurées, amplifiées.
Ce qui était une mineure, car l’essentiel des investissements concerne historiquement la construction et la réhabilitation, est bousculé. Pour préparer demain, il faut investir aussi et davantage dans la réhabilitation environnementale et l’accompagnement social pour lutter contre les précarités. Des prestations de marché sont même possibles, participant du pouvoir d’achat. Des Multi-Risques Habitation sont d’ores et déjà proposées par certains bailleurs. Demain, qui sait si les bailleurs ne seront pas aussi fournisseurs d’énergie.
On retrouve là, l’esprit d’entrepreneuriat social…
Julien Paul : La congruence de cette ambition entrepreneuriale avec nos valeurs redonne de l'attractivité à nos métiers comme du pouvoir d’agir à nos locataires.
Notre chiffre d’affaires fait à l’avance est notre « meilleur ennemi » quand il nous coince dans une culture administrative plutôt qu’entrepreneuriale. Il me semble que nous aurions tout à gagner à lever les freins culturels à cette nouvelle dynamique de services, riche de sens.
Quel impact sur le modèle d’activité des organismes ?
Julien Paul : L’activité de bailleur social s’inscrit dans le modèle de l’économie sociale et solidaire. Dans un contexte de crises et de mutations profondes, son volet serviciel en particulier témoigne de la capacité singulière de nos organisations à créer de la valeur d’utilité sociale. Demain, le service pourrait concerner les locataires et plus largement les habitants, les acteurs locaux, avec une attention notamment portée sur la péréquation des tarifs, selon les ressources des bénéficiaires.
L’activité de service est aussi une manière de pouvoir demain, soutenir la légitimité de notre modèle SIEG (Service d’Intérêt Économique Général). Nous devons montrer que nous sommes capables de nous réinventer, de réinventer le modèle de logement social à la française. Et c’est là que rendre compte de notre impact sur la base d’indicateurs ESG est incontournable pour être totalement opposable sur le caractère vertueux de notre activité.
"L’objectif de développer une offre de services vise tant à conforter notre modèle qu’à créer de la valeur sociale"
Qu’en est-il sur le plan juridique ?
Julien Paul : Les aspects juridiques méritent encore d’être clarifiés, cela fait partie des travaux de la commission. Timidement abordée dans la loi Elan, la question des droits à faire des bailleurs sociaux a besoin d’être expérimentée, négociée, confortée avec l’Etat et les territoires pour développer ensemble un modèle.
En 2023, nous avons développé avec DELPHIS, une cartographie des services que les bailleurs ont déjà mis en place. Accessible publiquement en ligne, elle vise à soutenir tous les bailleurs dans leurs initiatives, par eux-mêmes ou avec des partenaires. Une étude plus approfondie du cadre juridique permettra de sécuriser leur montée en puissance, vis-à-vis des acteurs privés notamment.
L’ensemble des expérimentations portées par les bailleurs est une opportunité de répondre aux besoins locaux non couverts, et de définir collectivement des règles d’exercice. Il ne faut pas rester coincé dans le cadre, mais plutôt prendre le lead pour le faire évoluer et renforcer le sens que nous donnons à nos actions.
> Télécharger la cartographie des nouveaux services dans l'habitat social, février 2024
Interview publiée en mai 2024. Mise à jour en décembre 2024.