Vieillir à domicile : quels enjeux pour le logement social ?

Jean-Philippe Vinquant, Président du Conseil de l’âge, est intervenu lors de la journée “Vieillissement dans le parc social : relevons le défi !” organisée par DELPHIS le 3 avril dernier. Il a accepté de répondre à nos questions pour nous partager les enjeux du bien vivre et vieillir dans l’autonomie à domicile.
Jean-Philippe Vinquant

 

1. Le rapport "Bien vivre et vieillir dans l'autonomie à domicile" publié en février 2024 évoque une "transition démographique" comparable à cele de la transition écologique. Estimez-vous que les politiques publiques sont aujourd'hui à la hauteur des défis à venir ?

La France est confrontée à un vieillissement accéléré de sa population : d’ici 2050, le nombre de personnes âgées de plus de 75 ans va presque doubler. Ce phénomène résulte principalement du vieillissement des générations nées après la Seconde Guerre mondiale, issues du baby-boom.

Malgré cette évolution largement prévisible, notre société demeure mal préparée. Cette impréparation s’explique par un manque d’anticipation structurelle, en particulier en matière de planification démographique – un chantier pourtant aussi stratégique que la planification écologique. Le Conseil de l’âge a réclamé une loi de programmation dédiée au vieillissement, intégrée à la loi de 2024, mais celle-ci n’a pas encore été mise en œuvre. La ministre Catherine Vautrin en a fait une priorité, mais les calendriers parlementaires et autres urgences politiques ont sans cesse repoussé son adoption.

La loi de 2015 avait amorcé des progrès, mais elle nécessite un second souffle pour affronter les enjeux au-delà de 2030.

En parallèle, des solutions concrètes, sobres et accessibles émergent : développement de logements adaptés (publics, privés, habitats partagés ou intergénérationnels), mutualisation des services d’aide à domicile, structuration de centres de ressources territoriaux pour renforcer les liens entre acteurs médico-sociaux. Toutefois, si de nombreuses « briques » existent déjà, c’est le ciment qui manque : une coordination globale, un cap politique clair et des moyens à la hauteur de l’ambition.

2. Seulement 6 % des logements de l’ensemble du parc de logements sont adaptés au vieillissement selon les données disponibles. Quelle est votre analyse de cette situation dans le parc social ?

Il est urgent d’accélérer l’effort d’adaptation : non seulement pour répondre aux besoins actuels des locataires âgés, mais aussi pour anticiper l’arrivée de nouveaux publics vieillissants. Il convient de réfléchir à la complémentarité entre vieillissement et handicap, et à la question de la réversibilité des aménagements, afin qu’ils bénéficient à tous.

Des initiatives innovantes montrent la voie, comme la capsule douche développée par une entreprise strasbourgeoise, qui permet une adaptation rapide et peu coûteuse.

Face au risque d’une « médicalisation » excessive du parc social – et la crainte qu’il devienne une sorte d’« EHPAD diffus » – il est essentiel de repenser les parcours résidentiels. Il faut offrir des possibilités de mobilité vers des logements adaptés à l’autonomie ou des résidences services seniors. Les bailleurs sociaux pourraient jouer un rôle clé en développant de telles résidences, mais cela nécessite des aides financières ciblées, notamment pour structurer les services (coordination des soins, interventions infirmières, etc.).

De leur côté, les EHPAD doivent aussi évoluer vers des modèles plus humains et ouverts, en interaction avec les territoires. L’enjeu global est de construire une filière fluide de l’habitat et de l’accompagnement, coordonnée à travers des dispositifs comme le SPDA (service public départemental de l’autonomie).

Enfin, les schémas départementaux de l’autonomie doivent mieux anticiper les sorties du logement social en proposant des solutions d’hébergement adaptées, tant sur le plan architectural que financier.

3. Vous insistez sur l’idée que le domicile ne doit pas être seulement un lieu fonctionnel mais un lieu « capacitant ». Que cela implique-t-il pour l’offre de logement social ? Comment faire du logement social un lieu d’épanouissement, et pas seulement d’hébergement sécurisé ?

Il faut revoir la manière de concevoir les immeubles et les quartiers en profondeur. Le rapport insiste sur la nécessité de repenser l'organisation spatiale du territoire pour rapprocher les lieux de vie des services, des commerces et des activités, favorisant ainsi la mobilité douce et réduisant les besoins en transports individuels. L'objectif est de créer de véritables « villages » ou « quartiers » y compris autour des ensembles sociaux où tout est accessible pour les seniors.

Pour faire du logement social un lieu d'épanouissement, et non plus seulement un hébergement sécurisé, il faut diversifier les modes d'habitat (colocations, habitats inclusifs) pour favoriser le lien social et la vie collective, luttant ainsi contre l'isolement, et organiser ou proposer des activités et services à domicile et à proximité.

4. La diversification des formes d’habitat est au cœur des recommandations du Conseil. Quelles sont les pistes concrètes à privilégier dans le logement social ? Entre résidences autonomie, habitats partagés, colocations Alzheimer, quels modèles sont les plus prometteurs ?

Le Conseil préconise de développer une gamme complète de solutions diversifiées pour que chaque personne âgée puisse trouver le lieu de vie parfaitement adapté à sa situation et à ses aspirations, lui permettant de construire un projet de vie épanouissant et de rester activement connectée à la société.

Les pistes concrètes à privilégier pour la diversification des formes d'habitat sont :

  • La consolidation et le développement des offres intermédiaires existantes comme les résidences autonomie, les résidences services seniors, l'habitat inclusif et l'accueil familial.
  • La poursuite des initiatives sur les habitats regroupés, notamment les colocations et les maisons partagées ;
  • Le renforcement de l'offre dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV), par la rénovation et la modernisation des résidences autonomie et l'expérimentation de nouvelles modalités d'accompagnement pour les seniors en logements sociaux.

Parmi ces modèles, les habitats inclusifs et partagés sont considérés comme les plus prometteurs. Ils répondent à l'aspiration des personnes de vivre "chez soi" tout en étant en lien avec les autres, et permettent de rationaliser les interventions professionnelles en limitant les déplacements. Les résidences autonomie ont également un potentiel important en renforçant leur capacité à accueillir des personnes avec des incapacités, par exemple en supprimant la limite de 10% de résidents en GIR 1 et 2 et en modulant le forfait "autonomie" à la hausse pour ceux accueillant une proportion significative de personnes classées en GIR 1 à 3.

Ces modèles doivent occuper à l’avenir une place centrale dans les politiques locales du logement.

5. Quels enseignements tirez-vous des pays européens en avance sur ces sujets, notamment les modèles scandinaves ou néerlandais ? En quoi leurs politiques de logement sont-elles plus favorables au vieillissement chez soi ?

Le Conseil de l'âge n’a pas pu se livrer à des études approfondies des politiques de ces pays. Mais une note d’éclairage accompagnant le rapport « Bien vivre et vieillir dans l'autonomie à domicile » du HCFEA de 2024 propose une comparaison internationale des approches. Cette note souligne que la plupart des pays confrontés au vieillissement de leur population s'orientent vers une "approche globale" de l'autonomie. Les politiques de logement des pays que vous citez sont plus favorables au vieillissement chez soi car elles considèrent le domicile comme un lieu naturel d’accompagnement, qui soutient l'autonomie et le lien social, et sont intégrées dans une planification territoriale et sociétale plus large, dépassant la seule gestion de la perte d'autonomie pour inclure l'adaptation du cadre de vie et des services.

6. On entend souvent dire que la France reste marquée par une approche « compensatoire » du vieillissement. Quel changement de regard proposez-vous ? Et comment ce virage pourrait-il concrètement bénéficier aux habitants du parc social ?

Effectivement, la France a historiquement adopté une approche "compensatoire" de la perte d'autonomie, axée sur la solvabilisation des aides et soins pour des incapacités physiques et cognitives. Le Conseil de l'âge propose un changement de regard vers une approche "finaliste et globale", qui vise à construire une réponse transversale et coordonnée aux besoins et aspirations des personnes, en promouvant la prévention, la vie sociale et l'autodétermination. Ce virage impliquerait de penser l'habitat non plus seulement comme fonctionnel, mais comme "capacitant", c'est-à-dire un lieu qui renforce le pouvoir d’agir, l’autonomie et le lien social. Pour les habitants du parc social, cela bénéficierait concrètement par :

  • L'adaptation massive des logements au vieillissement, allant au-delà de la simple conformité aux normes.
  • La diversification des modes d'habitat (colocations, habitats inclusifs, résidences autonomie) qui favorisent le lien social et la vie collective, réduisant l'isolement.
  • Une meilleure organisation spatiale des territoires pour rapprocher les lieux de vie des services, commerces et activités, réduisant les besoins de transport et favorisant la mobilité douce.
  • Un accompagnement renforcé des locataires âgés par les bailleurs, incluant un rôle étendu des gardiens et une meilleure articulation avec les aidants et les services à domicile.

7. Vous proposez la création de “Plans Longévité” territoriaux. Comment ces plans s’articuleraient-ils avec les Programmes Locaux de l’Habitat (PLH)? Quel rôle spécifique pour les intercommunalités et les bailleurs sociaux dans leur élaboration ?

Ces plans auraient pour objectif de regrouper les diagnostics sur les besoins actuels et prospectifs d'adaptation et de réponses au vieillissement des populations dans tous les domaines de l'action publique et privée.

La conception des immeubles et des quartiers devrait favoriser la construction d'habitats regroupés à proximité des centres-villes ou des pôles de services afin de limiter l'étalement urbain et de préserver les espaces naturels. Cela peut également permettre de revitaliser des zones fortement vieillissantes et de développer l'emploi local. L'ambition est de créer de véritables « inclus-quartiers » sur le modèle des « éco-quartiers », en reconvertissant des bâtiments existants pour diversifier les formes d'habitat.

Les Programmes Locaux de l'Habitat (PLH) incluent déjà des objectifs pour l'adaptation des logements au vieillissement. Les Plans Longévité ne viseraient pas à créer une charge nouvelle mais à consolider l'ensemble des leviers déjà mobilisés dans un plan lisible. Le rôle pour les intercommunalités serait central, car elles disposent des principaux leviers d'action sur l'urbanisme, le logement et le cadre de vie, et sont considérées comme le niveau privilégié pour l'élaboration de ces plans au niveau communal. Les bailleurs sociaux, bien que n'étant pas directement chargés de l'élaboration des plans, sont des acteurs clés de leur mise en œuvre, notamment par l'adaptation de leurs logements et l'accompagnement de leurs locataires. Leur engagement, via des conventions avec l'État, est jugé nécessaire pour atteindre les objectifs d'adaptation du parc social.

8. Les bailleurs sociaux doivent-ils devenir des acteurs de proximité du vieillissement à domicile ? Le rôle élargi du gardien, la coordination avec les aidants et services sociaux sont évoqués comme leviers à mobiliser davantage.

Oui, absolument. Les bailleurs sociaux doivent jouer un rôle accru en tant qu'acteurs de proximité dans le vieillissement à domicile. Ils sont déjà conscients de l'enjeu, avec une part significative de locataires âgés dans certains parcs HLM. Les bailleurs sont encouragés à intervenir et nouer des partenariats sur quatre axes principaux :

  • L'accessibilité des logements aux personnes à mobilité réduite.
  • L'adaptation des logements au vieillissement de leurs locataires, au-delà des salles de bain.
  • La gestion locative, incluant les politiques de loyers et les mutations au sein du parc pour faciliter la mobilité résidentielle.
  • L'organisation ou la dispensation de services à domicile et à proximité. Dans ce cadre, le rôle élargi des gardiens d'immeubles est un levier pour accompagner les locataires âgés, ainsi qu'une meilleure articulation des interventions des bailleurs avec les proches aidants et les services d'aide à domicile. L'objectif est de créer un soutien continu et sécurisant, réduisant l'isolement et améliorant la qualité de vie des seniors.

9. Enfin, que répondez-vous à celles et ceux qui estiment qu’adapter massivement les logements au vieillissement coûterait trop cher ?

Le Conseil de l'âge répond que l'adaptation massive des logements est non seulement nécessaire mais aussi un facteur d'efficience de la dépense publique et privée. Bien que les objectifs actuels de "MaPrimeAdapt'" soient insuffisants et que des fonds supplémentaires soient nécessaires (estimés à 100 à 150 M€ par an pour atteindre les objectifs d'adaptation des logements privés), cet investissement est considéré comme stratégique et générateur d'économies à moyen et long terme. Par exemple, la réduction des chutes graves chez les personnes âgées, grâce à l'adaptation des logements, pourrait générer une économie de 400 M€ sur les dépenses de santé d'ici 2029. De plus, le développement d'habitats intermédiaires ou partagés est moins coûteux en investissement et en fonctionnement que la création de nouvelles places en EHPAD, tout en rationalisant les interventions humaines.

Le Conseil insiste sur la nécessité d'une loi de programmation à long terme (15 à 20 ans) pour l'adaptation de la société au vieillissement. Cet investissement national est présenté comme une "politique d'investissement social" qui devrait bénéficier d'un retour sur investissement, au même titre que la rénovation énergétique, avec laquelle les enjeux du vieillissement devraient être intégrés pour une vision globale "autonomie/confort et sobriété thermique".

 

Qu’est-ce que l’approche compensatoire du vieillissement ?

1. Une logique centrée sur les déficits
L’approche compensatoire considère principalement le vieillissement à travers le prisme des pertes – perte d’autonomie, incapacités physiques ou cognitives – et vise à "compenser" ces déficits.
Elle se traduit par :

  • Des aides techniques et humaines apportées après l’apparition de limitations,

  • Un recours à des dispositifs comme l’APA ou les soins à domicile, essentiellement pour « pallier » des incapacités,

  • Une mobilisation tardive de l’action publique, souvent en réaction plutôt qu’en prévention.

2. Ses effets pervers
Cette approche a plusieurs limites :

  • Elle renforce une vision déficitaire et passive de la vieillesse, souvent stigmatisante.

  • Elle sous-estime les aspirations des personnes âgées à vivre pleinement, à rester citoyennes, actrices de leur parcours.

  • Elle favorise une logique d’institutionnalisation ou d’aides ponctuelles, plutôt que des environnements pensés en amont pour éviter la perte d’autonomie.

3. Vers une approche globale et inclusive
Le Conseil de l’âge plaide pour abandonner l’approche strictement compensatoire au profit d’une approche dite « finaliste et globale » :

  • Centrée sur les projets de vie, la participation sociale et l’autodétermination,

  • Qui mobilise tous les leviers de la société : logement, mobilité, lien social, numérique, santé, culture…

  • Qui agit en amont, dans une logique de prévention, inclusion et empowerment.

Cette évolution est essentielle pour répondre aux défis du vieillissement dans la dignité et l’autonomie.

Le Conseil de l’âge est une des trois branches du Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA). C’est un organe consultatif rattaché au Premier ministre, dont le rôle est d’éclairer les pouvoirs publics sur les politiques liées aux familles, aux enfants et aux personnes âgées. Il donne un avis sur tout projet de mesure législative concernant l’enfance, l’avancée en âge des personnes âgées et des personnes retraitées, l’adaptation de la société au vieillissement et la bientraitance, et peut en assurer le suivi. Il peut également être saisi par le Premier ministre, les ministres en charge de ces sujets, sur toute question relative à la famille et à l’enfance, à l’avancée en âge des personnes âgées et des retraités et à l’adaptation de la société au vieillissement ainsi qu’à la bientraitance. Il peut également s’autosaisir sur ces mêmes champs de compétence.

Pour consulter le rapport du conseil de l'âge