Surmonter les obstacles à la réhabilitation énergétique du patrimoine locatif privé : pistes de réflexion pour une politique plus efficace

Le présent article est écrit à partir des contributions développées par l’association DELPHIS dans le cadre du projet RentalCal financé par l’Union Européenne. Projet dont l’objectif principal est d’identifier et de surmonter les obstacles existants à la réhabilitation de l’immobilier résidentiel locatif privé, au sein des pays membres de l’U.E.

L’habitat résidentiel en France est composé de trois grands secteurs : les propriétaires-occupants (58%),  le locatif privé (23%) et le locatif social (17%). En 2017, la consommation des éco-prêts  pour les deux premiers secteurs (22 228 prêts pour les propriétaires-occupants, 1 328 pour les propriétaires-bailleurs et des éco-prêts copropriétés correspondant à 4 018 logements)  ou des prêts P.A.M. et P.H.P.B. pour le secteur locatif social (correspondant à 148 351 logements réhabilités) donne une bonne idée du rythme annuel actuel de réhabilitation énergétique de chacun des secteurs concernés. Si l’objectif premier et raisonnable d’une politique de réhabilitation énergétique de l’habitat est la lutte contre la précarité énergétique, c’est-à-dire l’élimination progressive des logements relevant des classes  E, F et G, le constat est clair. Au rythme actuel, si le secteur locatif social est susceptible dès 2026 de remplir cet objectif , le secteur locatif privé quant à lui devrait mettre plusieurs siècles à l’atteindre même en multipliant par 10 sa consommation actuelle des éco-prets.

Que faire ?

Les faiblesses structurelles du parc locatif libre sont bien connues. Les politiques gouvernementales favorisant l’investissement de personnes physiques dans l’immobilier locatif depuis plus de 20 ans, les bailleurs du locatif libre sont à près de 95% des personnes physiques plutôt âgées (69% ont plus de 50 ans) possédant, directement ou via des S.C.I., une moyenne de 1 à 5 logements (94%), souvent localisés dans des copropriétés composées majoritairement de logements de petite taille (45% des biens sont de type 1 et 2 ) avec un fort taux de rotation des ménages locataires. Le retrait dans les années 90 et 2000 des bailleurs privés institutionnels (banques, compagnies d’assurance, foncières ….) vendant en bloc ou à la découpe leur patrimoine pour de meilleurs rendements soit sur les marchés financiers soit dans l’immobilier commercial n’a fait qu’accentuer cette atomisation des bailleurs privés au point que les premiers bailleurs institutionnels dans le parc locatif libre sont à ce jour les S.E.M. logements.
Une analyse comparative des dispositifs respectivement à l’œuvre dans les deux segments de l’habitat locatif, le locatif social et le locatif libre explique en grande partie les difficultés du locatif libre à réhabiliter énergétiquement son patrimoine, elle suggère aussi les voies d’amélioration des politiques publiques.

 

1. Etat des lieux

 

Paramètres Locatif social Locatif  libre
I. Montant et options des travux

Montant : 30 000 à 40 000 € / lgt.

Performance globale

Montant : 23 558 €

Bouquets de travaux (98% des éco-prêts)

II. Compétence technique et qualité de réalisation des travaux Fortes : Objectif BBC rénovation pour les bailleurs sociaux (classe B DPE soit inf. à 80kwh/m2/an) Faibles : pas de contrôle de la performance énergétique après travaux, 2% des éco-prêts se faisant en performance globale
III. Revenus / augmentation des loyers 3ème ligne et C.E.E. 3ème ligne pas utilisée / augmentation du loyer à la relocation sur les marchés tendus / C.E.E. peu mobilisés
IV. Ingéniérie sociale Compétence forte : capacité à calculer et négocier la 3ème ligne Compétence inexistante
V. Ingéniérie financière    
V.1. Fonds propres (FP) et quasi-fonds propres

Quotité des FP variable.

Provisions : PGR ou amortissement : 0,6% du coût initial d'investissement (PGR) ou amortissement par composant

Quotité moyenne des FP : 20%

Provisions : PGR faible, voire inexistante

V.2. Subventions et quasi-subventions FEDER : oui

FEDER : non

ANAH : non

V.3. Incitations fiscales

T.V.A. taux réduit : 5,5%

T.F.P.B. : récupération possible à hauteur de 50% des travaux d'économie d'énergie

T.V.A. taux réduit : 5,5%

C.I.T.E. : néant

T.F.P.B. : néant

V.4. Prêts

Prêt P.A.M. :

-Taux livret A : + 0,60 pb (1,35%)

-Durée jusqu'à 30 ans

-Quotité moyenne

-Différé : 2 ans

Prêts P.H.P.B.

-Taux : 0%

-Durée : jusqu'à 45 ans

-Différé : 20 ans

Eco-prêt :

-Taux : 0%

-Durées maximales : 10 à 15 ans en fonction des travaux

-Durée moyenne : 11 ans

-Quotité maximale : 30 000 €

 

2. Analyse

Les faiblesses structurelles du locatif libre jouent pleinement leur rôle dans le déficit de compétences techniques et sociales des bailleurs privés. Il est souhaitable que le service public des plateformes territoriales de la rénovation énergétique de l’Habitat (PTREH), dont l’un des principaux objectifs est de pallier ces déficiences, joue rapidement son rôle dans ce sens et soie pleinement opérationnelle et efficace. Toutefois, nous ne croyons pas que l'appui de ces plateformes puisse suffire à lever des obstacles sociaux tels que la difficulté à mobiliser la contribution des locataires (3ème ligne de partage des économies d’énergie). Cette dernière se heurte à des « fondamentaux » : le faible niveau de revenus des ménages logés dans le parc locatif libre et le taux très élevé de rotation empêchent toute coïncidence des intérêts entre le bailleur et son locataire.
Pour ce qui est des autres paramètres tout est trop court, trop peu voire absent dans le secteur locatif privé.
Trop court, les durées de prêt mobilisées déconnectées de l’amortissement technique des composants des bouquets de travaux de rénovation énergétique, ce court correspondant toutefois à l’horizon de gestion d’un bailleur personne physique en moyenne plutôt âgé.
Trop peu, négligeables voire inexistantes, les provisions pour travaux y compris celles réglementaires récemment instaurées.
Quasi inexistantes, les incitations fiscales. A titre d’exemple, mise à part la TVA à 5,5%, le bailleur locatif privé personne physique n’a pas droit au crédit d’impôt du C.I.T.E. réservé aux propriétaires-occupants.
 

3. Recommandations

Compte-tenu des caractéristiques propres aux bailleurs du locatif privé dit libre, les seuls leviers pouvant être actionnés sont de trois ordres : le réglementaire, le financier et le fiscal.
Sur le réglementaire, l’obligation de D.P.E. pour les copropriétés déjà obligatoire devra être effective. Si le DPE réalisé ressort dans les classes E, F et G, la provision pour travaux devrait être systématiquement portée à 0,6% par an de la valeur de remplacement de l’actif immobilier. Le syndic tenu pour responsable.
Sur le financier, imposer un diagnostic énergétique avant et après travaux ainsi qu’un niveau de performance énergétique globale comme condition d’obtention de l’éco-prêt  à taux zéro semble être de nature à élever le niveau qualitatif des travaux de réhabilitation énergétique. Ce diagnostic pourrait être réalisé gratuitement sous l’égide des P.T.R.E.H. dans le cadre des parcours intégrés qu’elles proposent et financé soit par l’Etat soit par les collectivités.
Le principal levier reste la politique fiscale. Etablir une égalité de traitement entre bailleurs privés personnes physiques et propriétaires-occupants est le minimum. Il s’agit d’étendre le bénéfice du C.I.T.E. à toute personne physique propriétaire de logement(s). Cette extension pourrait largement être financée par une réorientation des incitations fiscales de la construction neuve vers la réhabilitation énergétique, cette dernière étant par ailleurs plus consommatrice de main d’œuvre par euro investi. Pour mémoire, nous rappelons que le propriétaire-occupant tire un bénéfice direct et immédiat des économies d’énergie, ce qui n’est pas le cas du bailleur privé personne physique, ces économies bénéficiant au locataire.

Après la carotte, le bâton. Sans aller, comme dans le secteur du logement social, à interdire la vente de logements classés en F et G, instaurer un bonus/malus sur la Taxe Foncière sur les Propriétés Bâties (TFPB), en fonction de la performance énergétique (D étant neutre) paraît hautement recommandable. Cela renforcerait l’effet de l’extension du C.I.T.E. et serait neutre pour le budget de l’Etat et des collectivités, à charge que dans le dispositif le malus équilibre le bonus.

 

Pour plus d’information sur l’ensemble des livrables : http://www.rentalcal.eu